Il fait plus fais. Je gère mieux cette température. Et puis c’est tellement beau aux alentours. C’est jaune, orangé, rouge… Rouge; ma couleur préférée. C’est le sang, c’est la vie, c’est la passion. Une passion, ça ne se contrôle pas. Qu’elle soit naïve ou assumée, lorsqu’elle se faufile, pas moyen de faire sans. Par hypocrisie, par nécessité, peu importe. Si elle se pointe le bout du nez, il nous faut obtempérer. Elle envahit nos vies, elle se met à prendre une place inouïe, voire totalement insensée. Ce n’est pas un choix. Nos pensées, nos gestes obéissent. Qu’ils en soient heureux ou non. Parce que sur le moment, il arrive qu’une passion se transforme en démon. Nulle envie de chausser mes runnings. Nulle envie d’aller mater la montagne. Nulle envie d’aller suer ma vie dans les entrailles de la terre. Pourtant, en prenant le temps de bien m’écouter, c’est la voix de la passion qui résonne dans mes oreilles.
Écoute. Push play. Prends plaisir. Laisse-toi enivrer. Laisse le son monter, pulser dans tes veines. Accepte ce chemin sinueux, tortueux. Accepte de travailler tes faiblesses. Tu reviendras plus forte, tu auras su vaincre… Encore… Tu sais pertinemment bien que le sentier te donnera du fil à retorde, au retour. Les pentes sont plus abruptes de l’autre côté. Tout ce qui monte redescend. Ainsi va la physique. Un pas. Un autre pas. Le gravier qui crisse sous tes pieds, la boue qui recouvre tes vieilles espadrilles. Tu n’entends, tu ne vois rien de ça. Parce que ça pulse dans tes oreilles. Tu es, dans le moment, obnubilée par les notes, les mesures, les sons. Pas ceux de la nature. Ceux de ta meilleure comparse. Celle qui se tient toujours à tes côtés. Qui ne te laisse presque jamais tomber.
Tu es concentrée sur le chemin à emprunter. Reste « focus », ça monte de l’autre côté. Inspire, expire. Ton coeur s’emballe, mais tu refuses de marcher. Il se reposera plus tard. C’est le temps de performer, pas de s’écouter. Si tu t’étais écoutée, tu serais restée confortablement assise dans ton fauteuil, à écouter les dessins animés avec tes gars. Mais non, tu as choisi de te mettre à l’horaire. Assume cette vérité, keep pushing. La montée achève. La prochaine est plus douce. Tu le connais ce chemin. Laisse-le te mener vers la réussite. Écoute.
Puis c’est la galère. Tes muscles ne t’obéissent plus. Rien n’avance. Tout semble peser 3000 livres. Ok, tu es fatiguée. Même Compostelle ne s’effectue pas sans difficulté. Prends une pause, marche un peu. Ohhhhhhh! L’orgueil n’apprécie pas, hein? Un court repos, c’est pas grave. C’est pour mieux te propulser. D’ailleurs ça y est, tu reprends le contrôle de tes articulations. Le rouge se remet à pomper, tout est correctement irrigué. Inspire, expire. Écoute.
Juste au moment où tu te crois sortie du pétrin, en voilà un autre qui se pointe. Elle te lâche. Elle ne tient plus ta main. Elle s’envole au royaume des morts… Elle nécessite une résurrection, assurément. Rien à y faire, elle n’émet et plus aucun son. Les notes se taisent. Elle devra pourtant bien attendre. C’est impossible de la recharger dans le moment. Pas d’autre choix que de se résigner.
Jusqu’à la fin, c’est la nature que tu devras écouter. Cette fois, tes pas, tu les entendras, tu les assumeras. C’est le pire moment pour être seule. Ça monte, ça monte encore. Les repos sont de courte durée. Après la grosse roche, ça se remet à tourner. Reste concentrée. Dans ton fort intérieur, tu ne veux pas arrêter. Tu ne veux pas marcher. tu veux grimper et vaincre ta faiblesse. Ne restent que deux kilomètres à parcourir. Oui, ils montent. Tous. Mais reste concentrée. Joue la musique dans tes oreilles. C’est beau l’automne dans les sentiers. Écoute…
La grosse roche est passée, ça continue de monter. C’est beau tout ce rouge dans les arbres, toutes ces nuances de jaune, d’ocre et d’orangé. Au chalet, ici, c’est dans les pas de ma mère que je marche. Tu serais fière de moi? Toi qui ne m’a jamais connue en sportive, tu dois bien te moquer du haut de ton nuage…
Tu es presque arrivée. Ta respiration s’emballe, c’est quasi incontrôlable. Il est là le chalet, derrière la dernière montée. Hey! Tu ne t’es pas arrêtée! Continue! Ça brûle, c’est long, ça semble si loin. Pourtant au lieu de tourner dans l’entrée, tu continues de grimper. Inspire, expire. Le prochain chalet, en haut de la côte, c’est la cible. Un pas, deux pas, trois pas… Ça y est! Tu as même dépassé ton objectif! J’halète telle notre nouvelle compagne à quatre pattes tellement mon coeur a pompé. Contrôle. Respire. Ça va revenir…
Puis, je baisse le regard. Il y a quoi sous mes yeux? Deux feuilles. Deux anodines feuilles. Une à une, elles ne signifient rien. Mais ensemble, elles forment la réponse de ma mère. Elle semble être descendue de son nuage pour venir me déposer la réponse à ma question. Dans cette pente abrupte où elle aimait tant glisser, l’hiver, je retrouve mes deux feuilles enlacées. Ensemble, elles représentent l’amour. Le coeur qu’elles forment est fidèle à celui que ma mère me dessinait lors de ses derniers moments, à l’hôpital. Je ne peux la prendre en photo; la musique ayant cessé ses effluves, je n’ai plus de batterie pour emmagasiner de nouvelles images. Celle-là, c’est dans ma tête qu’elle devra s’imprimer…
Laisser un commentaire